
La France mise sur les investissements greenfield pour renforcer son attractivité, comme l’illustrent les annonces du sommet Choose France depuis 2017, mais ces implantations nouvelles échappent encore au contrôle IEF.
Attractivité versus sécurité économique du contrôle IEF
La France ambitionne d’attirer toujours davantage d’implantations nouvelles d’entreprises dans le cadre de sa politique d’attractivité. Si le sommet Choose France, aujourd’hui décliné à la Maison de la Chimie, est spécifiquement dédié aux projets français, il convient de rappeler que l’État a identifié 10 451 projets d’investissements étrangers en France sur la période 2017-2023.
Parmi ces projets, une part importante correspond à des opérations de création d’activités nouvelles sur le sol français, autrement dit des investissements de type « greenfield ». Ces investissements étrangers en France portent en priorité sur les secteurs de l’intelligence artificielle, des data centers, de la logistique et de la grande industrie numérique, qu’il s’agisse de créations ex nihilo d’unités de production, de centres de recherche ou de plateformes technologiques.
Si le détail du nombre exact d’opérations greenfield n’est pas systématiquement précisé dans les communiqués publics, il semble que, depuis 2017, un total de 178 annonces d’investissements étrangers en France ait été réalisé lors des différentes éditions du sommet, pour un montant agrégé de près de 47 milliards d’euros.
Il faut principalement retenir que les investissements étrangers en France dits de création (« greenfield ») sont manifestement très massifs et constituent un levier structurant de l’attractivité du pays. Toutefois, la question se pose de savoir dans quelle mesure ces opérations s’intègrent au régime de contrôle des investissements étrangers en France (IEF) et s’il existe une zone de flou réglementaire.
Le cadre réglementaire : activités sensibles et autorisation préalable
Le régime français de contrôle des investissements étrangers en France, ou contrôle IEF, repose principalement sur l’article L. 151-3 du Code monétaire et financier, qui permet au gouvernement de soumettre à déclaration, autorisation ou contrôle les investissements étrangers en France lorsqu’ils sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale.
Le décret d’application et l’article R. 151-3 précisent les catégories d’activités concernées :
• Au I de l’article R. 151-3 : activités « de nature à porter atteinte aux intérêts de la défense nationale, participant à l’exercice de l’autorité publique ou de nature à porter atteinte à l’ordre public et à la sécurité publique » (ex. : armes, munitions, biens à double usage, centres de cryptologie, interception de données) ;
• Au II de l’article R. 151-3 : activités de nature à porter atteinte aux intérêts de la défense nationale ou à la sécurité publique lorsqu’elles portent sur des infrastructures, biens ou services essentiels pour garantir la continuité de l’approvisionnement en énergie, en eau, les réseaux et services de transport, les communications électroniques, les opérations spatiales, les établissements d’importance vitale, les matières premières critiques, etc. ;
• Au III de l’article R. 151-3 : activités de recherche et développement portant sur des technologies critiques ou des biens/technologies à double usage destinés à être mis en œuvre dans l’une des activités mentionnées aux I ou II.
Le décalage : les greenfield échappent au contrôle actuel
Toutefois, ce sont les lignes directrices établies par la Direction générale du Trésor (DG Trésor) qui précisent que « les créations d’entités en France par un investisseur étranger pour développer une nouvelle activité – également dites investissements greenfield – ne sont pas soumises à la procédure d’autorisation IEF ».
Autrement dit, nombre des investissements étrangers en France issus d’implantations nouvelles, parfois annoncés au sommet Choose France, échappent formellement à la procédure de contrôle IEF qui s’applique aux acquisitions de participations dans des entités existantes exerçant des activités sensibles.
Cette situation constitue un angle mort dans le dispositif de contrôle : des flux de capitaux significatifs, des implantations industrielles ou technologiques nouvelles, mais hors champ du filtre actuel.
Pour résumer l’effet de ciseaux : d’un côté, les investissements étrangers en France se multiplient via des projets greenfield ambitieux, annoncés au sommet Choose France ; de l’autre, le dispositif IEF contrôle les acquisitions et certaines prises de participation dans des entités nationales existantes exerçant des activités sensibles (armes, énergie, transports, data, matières premières critiques), mais il ne couvre pas les créations d’activités nouvelles en France par des investisseurs étrangers.
Il y a donc un déséquilibre : l’ouverture majeure via la création d’implantations nouvelles n’est pas assortie du même niveau de filtrage que l’acquisition d’actifs sensibles déjà en place.
Pour rappel, le rapport d’évaluation de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC) de l’Assemblée nationale de 2025 l’a d’ailleurs souligné. Cette mission, dans son rapport n° 1453, recommande explicitement « d’intégrer les investissements de création (“greenfield”) dans le champ du contrôle IEF ». Elle appelle à combler ce qu’elle nomme « le vide de contrôle » sur les investissements étrangers en France de type création. Le rapport souligne que « les opérations greenfield représentent une part significative des investissements étrangers en France » et que leur exclusion fragilise la cohérence du dispositif de sécurité économique.
Pourquoi cette question est-elle stratégique ?
Si la question est complexe, c’est parce que ce décalage pose plusieurs enjeux.
Celui de l’attractivité, d’une part : la France souhaite accueillir des investissements étrangers en France pour dynamiser l’économie, la création d’emplois et l’implantation de technologies. Les projets annoncés au sommet en sont la preuve.
Celui de la sécurité économique, d’autre part, car l’ouverture ne doit pas se faire au détriment de la souveraineté : des implantations étrangères nouvelles peuvent, dans un futur proche, fournir des services sensibles, héberger des données, être liées à des chaînes de valeur stratégiques. Si elles ne sont pas soumises au contrôle IEF, la France peut exposer certains secteurs à des risques.
Il y a bien un enjeu de cohérence du dispositif et il s’agit là d’un arbitrage entre deux objectifs : accroître les investissements étrangers en France tout en garantissant la sécurité nationale via le contrôle IEF.
Vers la prochaine échéance politique
Selon le rapport d’évaluation, l’introduction des investissements de création (« greenfield ») dans le champ du contrôle IEF est fortement recommandée. Le gouvernement devra décider s’il souhaite faire évoluer le régime dans cette direction ; à ce stade, aucune réforme législative majeure ni annonce gouvernementale ne semble poindre pour intégrer explicitement les créations d’implantations étrangères dans la procédure d’autorisation.
C’est pourquoi le moment pourrait être venu de revisiter le périmètre du contrôle. Cette question ne relève plus seulement de la croissance économique, mais aussi de la souveraineté industrielle, numérique et technologique. Et ce débat ne manquera pas de gagner en visibilité dans la perspective de la prochaine campagne présidentielle : l’attractivité de la France via les investissements étrangers en France face à la préservation de la sécurité économique du pays via le contrôle IEF.
Conclusion
En définitive, les investissements étrangers en France sous forme de créations nouvelles constituent un pilier fort de l’attractivité du pays. Le sommet Choose France le démontre une nouvelle fois. Mais ce qui est bon pour l’attractivité de la France (ces investissements de création) n’est pas forcément cohérent avec sa sécurité économique si le régime de contrôle IEF ne les englobe pas. Le régime du contrôle IEF veille sur les acquisitions dans des secteurs stratégiques, mais laisse aujourd’hui perdurer cet angle mort. C’est cette tension qu’il conviendra de résoudre prochainement.
