
La défense et la sécurité connaissent une mutation structurelle sous l’effet des tensions géopolitiques, du réarmement européen et de la montée des menaces hybrides. Ce mouvement entraîne un retour en force du M&A dans un environnement placé sous haute surveillance : technologies ultra-sensibles, chaînes industrielles interdépendantes, rôle actif de l’État et protection des opérateurs d’importance vitale. Le contrôle des investissements étrangers (IEF, FDI screening, CFIUS) devient le pivot des transactions transfrontalières. Dans ce contexte, industriels et investisseurs recherchent des partenaires capables d’articuler lecture technologique, exigences de souveraineté et maîtrise des jeux institutionnels pour sécuriser les opérations les plus sensibles.
Défense, sécurité et souveraineté : un marché qui change de dimension
La défense et la sécurité ne sont plus des niches réservées à quelques industriels historiques. Sous l’effet des tensions géopolitiques durables, de la guerre en Europe, de la montée des menaces hybrides et de la pression sur les infrastructures critiques, ces secteurs sont redevenus un pivot de la politique publique, de la stratégie industrielle… et des stratégies d’investissement.
Pour les investisseurs comme ses industriels, l’enjeu n’est plus seulement d’« accéder » à ces marchés, mais de savoir comment y entrer sans sous-estimer les contraintes de souveraineté. Dans ce paysage, les acteurs doivent être capables de combiner une lecture technologique avec une compréhension fine des jeux institutionnels.
Un réarmement durable, pas un simple cycle budgétaire
La hausse des budgets de défense en Europe n’a plus rien de ponctuel. Entre les engagements OTAN, les nouvelles lois de programmation militaire et les plans de réarmement annoncés par plusieurs gouvernements, la tendance est clairement structurelle.
Ce mouvement se traduit par :
• une montée en puissance de la Base industrielle et technologique de défense (BITD) ;
• une demande accrue en capacités, en munitions, en systèmes d’armes et en services de soutien ;
• l’accélération de projets jusqu’ici différés, faute de financement ou de priorité politique.
Dans ce contexte, le M&A du secteur défense retrouve un rôle stratégique : consolidation de plateformes, cessions d’actifs non‐cœur, rapprochements industriels, prise de participation dans des PME de haute technologie. Mais la mécanique de ces opérations n’a plus grand-chose à voir avec le M&A « classique ».
Le M&A défense/sécurité : des transactions sous haute surveillance
Les opérations dans la défense et la sécurité se distinguent par trois caractéristiques majeures :
1. Des technologies ultra-sensibles
Systèmes d’armes, capteurs avancés, électronique embarquée, navigation inertielle, GNSS, cybersécurité, applications duales d’intelligence artificielle, big data opérationnel : la valeur ne réside pas seulement dans la plateforme visible, mais dans des briques technologiques parfois discrètes mais décisives.
2. Une chaîne industrielle interdépendante
Une PME de niche peut être au cœur d’un programme majeur. Un fournisseur de rang 2 peut tenir une position stratégique dans une architecture système d’armes, spatiale ou cyber.
3. Une présence active de l’État
Par les contrats, les licences, le contrôle des exportations, le contrôle des investissements étrangers, les États pèsent directement sur le calendrier, la structure et parfois même la faisabilité des opérations.
Un dossier réussi suppose donc de parler à la fois le langage des ingénieurs et celui des administrations.
Là où se rencontrent haute technologie et souveraineté
La particularité de ces secteurs est d’articuler trois couches indissociables :
• La couche technologique : compréhension concrète de ce que recouvrent un autodirecteur électromagnétique ou infrarouge, un composant critique de navigation, une architecture de cybersécurité, un centre de données souverain.
• La couche industrielle : lecture fine de la BITD, des maîtres d’œuvre aux sous-traitants de rang 2 ou 3, en passant par les laboratoires et centres de R&D.
• La couche institutionnelle : ministères, états-majors, DGA, services de renseignement, autorités de cybersécurité, régulateurs… chacun avec ses priorités, ses processus, ses lignes rouges.
Pour un investisseur ou un industriel, cette superposition rend illusoire toute approche « générique ». D’où le besoin d’intermédiaires capables de traduire une technologie en enjeux de souveraineté, puis ces enjeux en paramètres acceptables pour les autorités et lisibles pour les marchés.
Défense, sécurité et opérateurs d’importance vitale
Les enjeux ne se limitent pas aux armements. Les secteurs de la sécurité et de la souveraineté recouvrent aussi :
• les opérateurs d’importance vitale (OIV) ;
• les infrastructures de communication critiques (réseaux sécurisés, câbles sous-marins, satellites, réseaux mobiles professionnels) ;
• l’hébergement et le traitement de données sensibles ;
• les systèmes de commande et de contrôle de réseaux essentiels (énergie, transport, santé, etc.).
Dans ces domaines, une opération de M&A touche rarement un simple « actif ». Elle impacte un maillon de résilience nationale. C’est pourquoi certaines transactions – câbles sous-marins, réseaux critiques, solutions logicielles au cœur d’architectures souveraines – sont examinées avec une vigilance maximale.
Pour les acteurs économiques, cela implique de concevoir chaque projet en intégrant d’emblée le point de vue de l’État : continuité de service, sécurité des approvisionnements, gouvernance, contrôle des données et des transferts de technologie.
Le contrôle des investissements étrangers comme pivot
Le contrôle des investissements étrangers est désormais un pivot des opérations dans ces secteurs. En France, le régime IEF, renforcé ces dernières années, couvre un spectre large : défense, sécurité, spatial, cybersécurité, infrastructures critiques, technologies duales. Au niveau européen, un mécanisme de coopération organise la circulation d’informations entre États membres. À l’international, des dispositifs puissants comme le CFIUS aux États-Unis ou leurs équivalents au Royaume-Uni viennent compléter le tableau.
Pour une opération transfrontalière, cela signifie :
• analyser en amont les risques IEF / FDI screening / CFIUS ;
• qualifier précisément les activités sensibles ;
• structurer la transaction de façon à limiter l’aléa institutionnel ;
• préparer des éléments techniques et stratégiques adressés aux autorités ;
• anticiper d’éventuels engagements (gouvernance, localisation, transferts technologiques, données).
Les conseils qui maîtrisent à la fois le droit, la technologie, les logiques de souveraineté et les circuits administratifs deviennent des pièces maîtresses dans la réussite des dossiers.
Les fonds d’investissement réintègrent la défense dans leur spectre
Les lignes bougent du côté des investisseurs. Là où la défense était souvent considérée comme une zone grise, les comités d’investissement admettent de plus en plus des stratégies ciblées sur :
• les technologies duales ;
• les infrastructures critiques ;
• les plateformes de cybersécurité et de résilience ;
• certains segments de la BITD jugés compatibles avec leurs critères ESG.
Ce mouvement reste encadré : l’exigence de transparence, de gouvernance et de responsabilité demeure forte. Mais l’idée s’impose que soutenir les capacités de défense et de sécurité, dans un cadre clair, participe aussi à la stabilité et à la résilience des économies.
Les fonds recherchent dès lors des partenaires capables de :
• qualifier la sensibilité réelle des cibles ;
• intégrer l’angle souveraineté dans la thèse d’investissement ;
• réduire le risque de blocage institutionnel ;
• gérer le risque réputationnel grâce à un narratif solide sur la contribution à la sécurité et à l’autonomie stratégique.
Ce que cela implique pour industriels et investisseurs
Ce nouveau paysage impose une approche intégrée :
• Jeu long avec l’État : la relation ne se réduit pas à une procédure d’autorisation. Elle s’inscrit dans une trajectoire industrielle et capacitaire à moyen terme.
• Alignement des rationalités : économique, technologique, institutionnelle, politique.
• Coordination des métiers : juristes, financiers, ingénieurs, experts souveraineté, communicants.
Les acteurs les plus à l’aise dans ce contexte sont ceux qui savent articuler, de manière crédible, ces différentes dimensions. Ils rendent lisibles pour les autorités des opérations parfois très complexes, tout en sécurisant pour les investisseurs et les industriels la valeur et la faisabilité des transactions.
En creux, le message est clair : le marché de la défense et de la sécurité attire de nouveau capitaux, talents et projets, mais il ne laisse aucune place à l’improvisation. Ceux qui combinent culture technologique et sectorielle, avec la compréhension intime des logiques de souveraineté disposent aujourd’hui d’un avantage décisif pour accompagner les opérations les plus sensibles.
