
CFIUS : le contrôle des investissements étrangers aux États-Unis
Un enjeu croissant de sécurité nationale
Alors que la liberté d’investir demeure l’un des fondements de l’économie américaine, le contexte international des dernières décennies a imposé une réévaluation des priorités. La montée des tensions géopolitiques, les stratégies d’influence d’États rivaux et la sensibilité accrue des technologies critiques ont amené les États-Unis à renforcer leur contrôle sur les investissements étrangers. Le Comité sur les investissements étrangers aux États-Unis, plus connu sous son acronyme anglais CFIUS (Committee on Foreign Investment in the United States), s’impose aujourd’hui comme un acteur central dans la protection des intérêts stratégiques américains.
La genèse du CFIUS : de la liberté d’investir au principe de précaution
Historiquement, les États-Unis ont toujours encouragé l’investissement étranger, en vertu d’un environnement juridique ouvert, d’un marché intérieur puissant et d’un État de droit robuste. Pourtant, ce principe souffre une importante dérogation : la préservation de la sécurité nationale. C’est dans cette optique qu’a été créé le CFIUS, initialement par un Executive Order de 1975. Son rôle était alors consultatif, mais il a progressivement gagné en pouvoir et en autorité grâce à une série de réformes majeures, notamment le FIRRMA de 2018 (Foreign Investment Risk Review Modernization Act).
Une architecture juridique complexe mais consolidée
Le CFIUS tire sa base légale du Defense Production Act de 1950, renforcé par des textes successifs comme l’Omnibus Trade and Competitiveness Act de 1988, l’amendement Byrd de 1992, le FINSA de 2007 et surtout le FIRRMA. Chaque étape a marqué une consolidation du pouvoir d’examen du CFIUS, qui dispose aujourd’hui de moyens juridiques, administratifs et réglementaires d’une grande précision. La codification de ces pouvoirs dans les parties 800, 801 et 802 du Code of Federal Regulations (CFR) rend le dispositif lisible mais aussi redoutablement efficace.
Le fonctionnement du CFIUS : une collégialité sous pilotage du Trésor
Le CFIUS est un organe collégial composé de représentants de plusieurs départements fédéraux (Défense, Justice, Homeland Security, Énergie, etc.) et coordonné par le Département du Trésor. Il peut associer ponctuellement d’autres agences, comme le Secrétariat au Travail ou l’Intelligence Community. Chaque décision est prise au consensus ou, en cas de blocage, transmise au Président des États-Unis pour décision finale. Ce mode de fonctionnement renforce la légitimité institutionnelle du CFIUS, tout en garantissant la confidentialité des procédures.
Le rôle du Congrès : contrôle politique et impulsion législative
Le Congrès américain exerce un rôle de surveillance sur le CFIUS, surtout depuis la promulgation du FINSA. Il impose des rapports réguliers, définit les lignes directrices de sécurité nationale, et oriente les priorités, notamment vis-à-vis de certains pays comme la Chine. Ce droit de regard parlementaire permet de garantir que le CFIUS agit dans l’intérêt général sans se substituer à l’instruction qui relève de l’exécutif.
Une coopération internationale renforcée
Dans un monde globalisé, le CFIUS ne peut agir seul. Il développe ainsi une coopération avec d’autres régimes de filtrage, en particulier ceux des pays alliés comme l’Union européenne, le Japon ou l’Australie. Cette coopération porte sur l’échange d’informations, la convergence réglementaire et l’analyse croisée des risques. Le CFIUS évalue aussi la robustesse des dispositifs étrangers pour décider des exemptions applicables à certains investisseurs.
La sécurité nationale : un concept central mais évolutif
Le cœur du mécanisme du CFIUS repose sur la notion de sécurité nationale. Initialement limitée aux secteurs de la défense, cette notion s’est progressivement élargie aux infrastructures critiques, aux technologies sensibles, aux ressources stratégiques et aux données personnelles. Cette extension a été facilitée par le FIRRMA, qui autorise le CFIUS à inclure de nouveaux secteurs à mesure que les risques évoluent. La sécurité nationale devient ainsi une catégorie évolutive, en constante redéfinition.
La notion de transaction couverte : champ d’application du contrôle
Le CFIUS n’intervient que dans le cadre de « covered transactions », c’est-à-dire les opérations qui peuvent poser un risque pour la sécurité nationale. Longtemps limitées aux acquisitions majoritaires, les transactions couvertes incluent désormais aussi certains investissements minoritaires, les prises de participation conditionnelles, les changements de droits de vote, et même certaines opérations de prêt. Cette extension permet au CFIUS d’anticiper des stratégies de contournement.
Le contrôle de l’investisseur : une approche fondée sur la nationalité et la structure
Le CFIUS détermine la qualité « d’étranger » de l’investisseur sur la base d’une définition très large, qui inclut non seulement les entités non américaines mais aussi les entités américaines contrôlées par des étrangers. Il existe néanmoins des régimes dérogatoires pour certains États alliés (Australie, Canada, Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande) et pour des investisseurs dits « excepted investors ». Cette différenciation traduit un calibrage géopolitique du dispositif.
L’entreprise cible : priorité aux secteurs TID
Le CFIUS examine également la nature de l’entreprise américaine concernée. Il se concentre en priorité sur les activités relevant des secteurs TID : Technologies, Infrastructures et Données sensibles. Ce ciblage repose sur une grille d’analyse détaillée intégrée dans les règlements d’application. Lorsqu’une entreprise cible appartient à l’un de ces secteurs, le CFIUS applique un filtrage renforcé.
Les transactions immobilières : un champ désormais structuré
Depuis les réformes de 2018 et 2020, le CFIUS est aussi compétent pour examiner certaines transactions immobilières, notamment celles situées à proximité de sites sensibles (installations militaires, infrastructures critiques). La partie 802 du CFR définit de manière précise les zones et types d’actifs concernés. Même les opérations de leasing peuvent être couvertes. Un outil de cartographie est mis à disposition des parties pour clarifier ce périmètre.
La procédure de contrôle : un déroulé précis en plusieurs phases
Le processus devant le CFIUS se divise en trois grandes étapes : la phase de dépôt (light filing ou written notice), la phase d’examen (30 jours), la phase d’enquête approfondie (45 jours), puis éventuellement une revue présidentielle (15 jours). Le calendrier est strict, et les informations requises doivent être transmises via un système sécurisé (CMS). Les échanges peuvent débuter en phase préliminaire, notamment par des consultations informelles. La transparence et la coopération sont fortement encouragées.
Le régime de déclaration : obligations et stratégies
Certaines transactions sont soumises à déclaration obligatoire, en particulier en cas de lien avec un gouvernement étranger ou des technologies critiques. D’autres peuvent faire l’objet d’une notification volontaire. La stratégie de dépôt relève d’une analyse fine des risques, que les conseils des parties doivent anticiper. Le CFIUS peut proposer un accord d’atténuation (mitigation agreement) dès la phase d’évaluation.
Pouvoirs de contrainte et sanctions
Le CFIUS dispose de pouvoirs considérables : suspension de l’opération, injonctions, annulation, sanctions pécuniaires. Il peut aussi exiger la régularisation d’une transaction non notifiée. Le non-respect de ses exigences expose les parties à des amendes importantes et à des recours judiciaires. Le suivi post-transaction est tout aussi rigoureux, avec des rapports réguliers exigés. Une agence chef de file est désignée pour contrôler les engagements contractés.
La phase présidentielle : ultime recours de souveraineté
Si le CFIUS estime que l’opération ne peut être sécurisée, il recommande au président des États-Unis de bloquer l’opération. Ce pouvoir discrétionnaire n’est pas motivé ni susceptible de recours, bien qu’un précédent célèbre (affaire Ralls Corporation) ait permis un contrôle juridictionnel sur la procédure. Six transactions ont ainsi été bloquées depuis 1990 par décision présidentielle.
Le droit de timbre et les coûts de procédure
Depuis 2020, les notifications soumises au CFIUS sont assujetties à un droit de timbre proportionnel à la valeur de la transaction. Le barème est progressif et comprend des cas d’exemption. Le paiement constitue une condition de recevabilité de la notification. Ce régime vise à responsabiliser les parties et à financer le fonctionnement du comité.
Transparence et efficacité : la réputation du CFIUS
Le CFIUS est reconnu pour la rigueur de ses procédures, la qualité de son instruction, et la confidentialité de ses échanges. Il représente une forme aboutie de régulation préventive. Son modèle a inspiré de nombreux pays, dont la France. Il constitue un levier de souveraineté économique assumée. Toutefois, sa technicité impose une anticipation juridique élevée pour les investisseurs.
Vers une sophistication croissante du contrôle
Le CFIUS n’est plus seulement un dispositif de filtrage, mais un véritable outil de stratégie économique. Sa capacité à s’adapter aux nouvelles menaces, à coopérer internationalement, et à imposer des mesures contraignantes en fait un acteur incontournable des operations de fusions-acquisition aux Etats-Unis. Toute opération d’investissement impliquant des actifs américains sensibles doit désormais intégrer, dès l’origine, une analyse du risque CFIUS. Cette approche préventive permet non seulement de sécuriser l’opération, mais aussi de renforcer la légitimité économique des investisseurs étrangers.
Livre CFIUS – Le contrôle des investissements étrangers aux États-Unis, ed. Relians, 2022
Dans un monde où les investissements transnationaux jouent un rôle central dans les enjeux de sécurité économique, les États-Unis se distinguent par un dispositif rigoureux de contrôle des investissements étrangers, activé dès lors qu’une opération est jugée susceptible de porter atteinte à leur sécurité nationale. Ce mécanisme repose sur l’action du Committee on Foreign Investment in the United States (CFIUS), un comité interministériel piloté par le Department of the Treasury. Doté de prérogatives étendues, le CFIUS peut ainsi autoriser une opération, en recommander la modification, ou encore en bloquer la réalisation, sur décision finale du président des États-Unis.
Cet ouvrage propose une analyse complète et pédagogique de cet outil de régulation aux multiples facettes. Il en retrace la genèse et l’évolution, en décrivant la structure et les acteurs du CFIUS, les critères d’évaluation des risques, les procédures d’examen, ainsi que les effets concrets de ses décisions. Il accorde également une attention particulière à la réforme majeure introduite par le Foreign Investment Risk Review Modernization Act (FIRRMA), qui a considérablement élargi le champ d’action du comité.
À la croisée du droit, de la géopolitique et de l’économie, ce livre s’adresse aussi bien aux praticiens du droit des affaires internationales qu’aux étudiants, chercheurs ou décideurs souhaitant comprendre les ressorts juridiques et stratégiques du filtrage des investissements étrangers aux États-Unis. En mettant en lumière les enjeux contemporains liés à la souveraineté économique, il offre des clés de lecture essentielles pour appréhender une politique publique désormais incontournable.
Première Partie • Le CFIUS
Chapitre 1 – Principe et dérogation au contrôle des investissements étrangers aux États-Unis
Chapitre 2 – Les textes instituant le contrôle des investissements
Chapitre 3 – Le Comité est l’organe du contrôle des investissements étrangers
Chapitre 4 – Le Congrès exerce un droit de regard sur le CFIUS
Chapitre 5 – Le Comité développe une coopération internationale ciblée
Deuxième Partie • Les considérants du contrôle
Chapitre 6 – Le Comité protège la sécurité nationale lors d’un investissement étranger
Chapitre 7 – Le Comité intervient si l’investissement est une transaction couverte
Chapitre 8 – Le Comité analyse la nature du contrôle opéré sur l’entreprise cible
Chapitre 9 – Le Comité détermine la qualité d’étranger de l’investisseur
Chapitre 10 – Le Comité appréhende la nature de l’entreprise cible au regard des TID
Chapitre 11 – Le Comité vise spécifiquement certaines transactions immobilières
Chapitre 12 – Le contrôle par le CFIUS est encadré par des lignes directrices (Guidance)
Chapitre 13 – Le Comité intervient en parallèle d’autres régulations de sécurité nationale
Troisième Partie • Les phases du contrôle
Chapitre 14 – La phase de due-diligences permet des questionnements clés
Chapitre 15 – La phase préalable d’approche du CFIUS est cruciale
Chapitre 16 – Les trois phases de contrôle formel : l’examen, l’enquête et la revue présidentielle
Chapitre 17 – La phase initiale d’examen préalable (Assessment) est de 30 jours
Chapitre 18 – La seconde phase officielle d’enquête (Review) est de 45 jours
Chapitre 19 – Une période additionnelle d’investigation peut intervenir pour 45 à 60 jours
Chapitre 20 – Une troisième phase d’examen présidentiel (Presidential review) est possible sur 15 jours
Quatrième Partie • L’application du contrôle
Chapitre 21 – Le contrôle est soumis à droit de timbre
Chapitre 22 – Le suivi des engagements est rigoureux
Chapitre 24 – Les recours sont possibles sur la procédure mais pas sur le fond
Chapitre 25 – L’historique des transactions retrace 6 cas de blocages par le CFIUS et d’autres transactions emblématiques
Annexes
Annexe 1 – CFR Annexe A de la partie 800
Annexe 2 – 31 CFR Part 800 413
Addendum
Executive Order n° 14083 : Executive Order on Ensuring Robust Consideration of Evolving National Security Risks by the Committee on Foreign Investment in the United States
Index

Notre expertise
Relians, spécialiste du contrôle des investissements étrangers