Cadre européen du filtrage des investissements directs étrangers

Contrôle des investissements étrangers en France (IEF)
Filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union
Filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union


Le cadre européen du filtrage des investissements directs étrangers

 

Après plusieurs décennies axées sur la promotion d’une zone de libre-échange et la libre circulation des capitaux, l’Union européenne a progressivement pris conscience des préoccupations croissantes de ses États membres concernant la protection de leurs secteurs stratégiques. Cette prise de conscience s’est matérialisée dès février 2017, lorsque l’Allemagne, la France et l’Italie ont officiellement saisi la Commission européenne afin d’encadrer plus strictement les investissements étrangers dans les entreprises détenant des technologies clés. Cette demande s’inscrivait dans une volonté de réciprocité et de renforcement de la sécurité économique, menant à un tournant dans la politique européenne historiquement favorable à l’ouverture des marchés.

C’est dans ce contexte que l’Union européenne a adopté, le 19 mars 2019, un règlement établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union. ( Règlement (UE) 2019/452 du parlement européen et du conseil du 19 mars 2019) établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union entré en vigueur en avril 2019 et pleinement opérationnel à partir d’octobre 2020, ce dispositif inédit marque une évolution majeure du droit européen de l’investissement.

 

Une architecture fondée sur la coopération

 

Le dispositif repose sur deux piliers fondamentaux. D’une part, chaque État membre conserve sa compétence souveraine pour évaluer les conséquences d’un investissement étranger sur la sécurité et l’ordre public sur son territoire. D’autre part, une coopération est instaurée entre les États membres et avec la Commission européenne, afin de permettre une évaluation collective des risques. Cette dynamique vise à éviter que les failles nationales soient exploitées au détriment de l’ensemble du marché intérieur.

Le règlement ne remplace donc pas les dispositifs nationaux de filtrages des investissements directs étrangers, mais les complète. Il permet également à la Commission d’émettre des avis non contraignants sur des opérations potentiellement sensibles. Cette articulation souple entre souveraineté nationale et coordination européenne permet d’éviter toute dérive protectionniste tout en garantissant une approche coordonnée des enjeux stratégiques.

 

Une harmonisation encadrée, respectueuse des souverainetés

 

L’un des apports majeurs du règlement est de créer un ensemble cohérent de recommandations non contraignantes. Les États membres restent libres de ne pas instaurer de mécanisme national de filtrage des investissements directs étrangers, mais s’ils le font, ils sont encouragés à respecter des principes communs : transparence, non-discrimination, proportionnalité, et clarté des critères.

Cette harmonisation vise à éviter des disparités procédurales qui pourraient nuire à l’attractivité de l’Union, engendrer des contournements par des montages transfrontaliers, ou générer une insécurité juridique pour les investisseurs. Les États sont invités à prendre des mesures contre les contournements, à produire un rapport annuel et à notifier à la Commission toute modification de leurs dispositifs.

Le mécanisme de coopération : un réseau de vigilance renforcé

 

La dimension coopérative du règlement constitue une innovation majeure. Lorsqu’un État membre examine un investissement, il peut solliciter l’avis des autres États et de la Commission. De même, tout État peut émettre des commentaires si l’opération en cours ailleurs est susceptible de porter atteinte à sa sécurité.

Ce mécanisme permet de construire une vigilance partagée, essentielle à la crédibilité du dispositif. Il s’applique à tous les États, qu’ils aient ou non mis en place un système de filtrage des investissements directs étrangers. La coopération fonctionne à travers des points de contact désignés et repose sur des échanges d’informations précis, proportionnés et limités à l’objectif poursuivi.

Le champ d’application du règlement : uniquement les pays tiers

 

Le champ d’application du règlement est strictement limité aux investissements en provenance de pays tiers, c’est-à-dire extérieurs à l’Espace Économique Européen. Il ne s’applique donc ni aux flux intra-UE, ni aux investissements de portefeuille.

Les définitions sont claires : un investissement direct étranger est une opération visant à établir une relation durable et significative entre un investisseur étranger et une entreprise européenne. Le filtrage des investissements directs étrangers est la procédure par laquelle un État peut autoriser, interdire ou conditionner un tel investissement pour des raisons de sécurité ou d’ordre public.

Un outil d’aide à la décision pour les États membres

 

Le règlement offre aux États membres un cadre d’analyse complémentaire à leur propre dispositif. Il ne s’agit pas de les déposséder de leur pouvoir d’appréciation, mais de leur fournir des éléments supplémentaires pour mieux évaluer les risques.

Parmi les facteurs à prendre en compte dans le filtrage des investissements directs étrangers, figurent les impacts sur les infrastructures critiques, les technologies sensibles, l’approvisionnement en matières premières stratégiques, ou encore la capacité de l’investisseur à accéder à des données sensibles. Le contrôle exercé par un gouvernement étranger ou les précédents d’un investisseur peuvent également être pris en compte.

Un dispositif non contraignant, mais directif

 

Le règlement insiste sur le caractère non obligatoire du filtrage des investissements directs étrangers. Toutefois, les États membres sont fortement incités à respecter certaines « balises » dans la conception et la mise en œuvre de leurs dispositifs : clarté des délais, lutte contre les contournements, prise en compte des observations de la Commission et des autres États.

Deux devoirs principaux s’imposent aux États volontaires : un devoir d’information sur les opérations filtrées et un devoir d’alerte sur les investissements étrangers pouvant affecter d’autres pays. Ces obligations peuvent s’exercer jusqu’à 15 mois après la réalisation d’un investissement.

Une coopération renforcée entre États disposant d’un filtrage

 

La France, qui dispose d’un mécanisme de filtrage des investissements directs étrangers, peut désormais coopérer efficacement avec les autres États disposant d’un tel outil. Elle peut notifier à la Commission et aux autres États membres toute opération jugée sensible et solliciter leurs commentaires. Inversement, elle peut réagir à des investissements en cours ailleurs dans l’Union.

Un calendrier précis encadre les échanges : notification, demandes d’informations, réponses, formulation d’avis ou de commentaires. En cas d’urgence, un État peut décider de réduire ces délais. La décision finale revient toujours à l’État dans lequel l’investissement est réalisé.

Un dialogue avec les États sans dispositif de filtrage

 

Le règlement prévoit aussi des interactions avec les États membres n’ayant pas instauré de mécanisme national. Des États tiers ou la Commission peuvent les alerter, leur adresser des avis ou leur demander des informations. Cette ouverture vise à prévenir que l’absence de contrôle ne crée une brèche dans la sécurité économique européenne.

Le dispositif assure ainsi que l’Union ne soit pas divisée entre États protecteurs et États permissifs, en instaurant un dialogue structuré, même avec ceux qui ne souhaitent pas mettre en place de filtrage des investissements directs étrangers.

Une exigence de proportionnalité et de protection des données

 

Le règlement insiste sur la nécessité de limiter les demandes d’informations aux seuls éléments nécessaires à l’évaluation des risques. Les données collectées doivent respecter les règlements européens sur la protection des données, notamment le RGPD et le règlement 2018/1725.

Les informations sensibles ou confidentielles doivent être strictement protégées, qu’il s’agisse de secrets d’affaires ou de données classifiées. Des règles précises encadrent l’échange de ces données entre États membres et avec la Commission. Il s’agit de garantir la confiance des entreprises tout en assurant la robustesse du filtrage des investissements directs étrangers.

Des garanties pour les investisseurs

 

Les investisseurs étrangers et les entreprises concernées doivent pouvoir exercer un recours contre toute décision de filtrage. Le règlement impose aux États membres d’offrir des voies de recours juridictionnel ou administratif, dans un souci de sécurité juridique et de prévisibilité.

Ces garanties sont essentielles pour préserver l’attractivité de l’Union européenne, tout en rassurant les partenaires économiques sur le fait que le filtrage des investissements directs étrangers n’est pas un instrument arbitraire ou politique.

Une compétence propre de la Commission en cas d’intérêt européen

 

Dans les cas où un investissement concerne un programme européen sensible, comme Galileo, Copernicus, ou Horizon Europe, la Commission peut intervenir plus directement. Ces programmes, listés en annexe du règlement, représentent des intérêts vitaux pour l’Union et justifient un niveau de vigilance particulier.

La Commission peut alors émettre un avis contraignant ou recommander des mesures, en lien avec les États membres concernés. Cette faculté illustre la montée en puissance d’un filtrage des investissements directs étrangers à la fois européen et national, articulé autour d’une souveraineté partagée.

Le règlement européen de 2019 sur le filtrage des investissements directs étrangers marque une étape décisive dans l’affirmation d’une politique économique stratégique à l’échelle de l’Union. S’il n’impose pas de normes contraignantes, il établit un cadre structurant, fondé sur la coopération, la transparence et la proportionnalité. Ce dispositif s’inscrit dans une logique de sécurisation des actifs clés, en écho aux évolutions similaires observées aux États-Unis ou ailleurs. Il appartient désormais aux États membres, et notamment à la France, de s’en saisir pleinement pour renforcer la résilience de leur économie tout en préservant l’ouverture du marché européen.


Pour en savoir plus

Livre « IEF Le contrôle des investissements étrangers en France », ed Relians, 2024

Illustration – filtrage des investissements directs étrangers | Relians

Notre expertise

Relians, cabinet de conseil stratégique et institutionnel, accompagne depuis plus de 20 ans les entreprises confrontées à ces enjeux. En s’appuyant sur une lecture experte des textes, des pratiques administratives et des lignes directrices applicables, nous aidons nos clients à structurer leurs opérations en toute sécurité, dans le respect des exigences réglementaires et dans une logique de dialogue constructif avec les autorités françaises.

Relians, spécialiste du contrôle des investissements étrangers