Renforcement du filtrage des investissements étrangers en Europe

Contrôle des investissements étrangers en France (IEF)
Contrôle des investissements étrangers en France (IEF)
Filtrage des investissements étrangers dans l’Union européenne

 

Vers un renforcement du filtrage des investissements étrangers en Europe

 


 

Depuis l’entrée en vigueur du Règlement (UE) 2019/452 en avril 2019, l’Union européenne s’est dotée d’un cadre commun pour le filtrage des investissements étrangers (IDE) susceptibles d’affecter la sécurité ou l’ordre public de ses États membres ou de l’Union dans son ensemble. Dans un contexte géopolitique marqué par des tensions croissantes ( pandémie mondiale, guerre en Ukraine, rivalités technologiques ) cette capacité d’action s’est révélée stratégique. Un rapport d’évaluation récemment publié par la Commission européenne analyse le fonctionnement de ce dispositif et propose des pistes de réforme pour améliorer l’efficacité du filtrage des investissements étrangers dans l’UE.

Un cadre nécessaire à la souveraineté économique européenne

Le filtrage des investissements étrangers n’est pas un frein à l’attractivité, mais un outil de souveraineté pour les Etats membres. L’Union européenne demeure l’un des espaces économiques les plus ouverts du monde. Toutefois, cette ouverture ne saurait être naïve. Le règlement de 2019 a permis d’instaurer un équilibre subtil entre attractivité économique et protection des intérêts fondamentaux de l’Union. En permettant aux États membres de contrôler certains investissements étrangers pouvant représenter une menace pour leur sécurité ou leur ordre public, et en instaurant un mécanisme de coopération avec la Commission, le texte a posé les fondements d’un filtrage des investissements étrangers à l’échelle européenne.

Un premier bilan globalement positif

L’évaluation menée par la Commission européenne couvre la période allant d’avril 2019 au 30 juin 2023. Elle s’appuie sur plusieurs sources : un rapport de l’OCDE, des consultations avec les parties prenantes concernées (autorités nationales, investisseurs, entreprises), ainsi que les conclusions de la Cour des comptes européenne.

Il ressort de cette évaluation que le filtrage des investissements étrangers mis en place depuis 2019 a globalement atteint ses objectifs. Le dispositif a contribué à prévenir des risques concrets, sans pour autant dissuader les flux d’IDE vers l’Union. L’équilibre recherché semble donc, dans une certaine mesure, respecté. Toutefois, plusieurs lacunes importantes fragilisent encore l’architecture du filtrage des investissements étrangers à l’échelle de l’UE.

Des failles persistantes dans le maillage européen

La première faiblesse identifiée concerne l’absence de mécanisme de contrôle dans certains États membres. Cela crée des zones grises dans l’espace intérieur européen. Des investisseurs étrangers peuvent contourner les mécanismes les plus rigoureux en passant par des juridictions plus permissives. Ce phénomène fragilise la chaîne de protection que devrait garantir le filtrage des investissements étrangers au niveau européen.

La deuxième faiblesse structurelle réside dans la définition restrictive des investissements directs étrangers. Actuellement, le règlement exclut de son champ les investissements intra-européens effectués par des filiales d’entreprises étrangères. Ce biais crée de véritables angles morts. Certaines transactions critiques échappent ainsi au filtrage des investissements étrangers, alors même que leur impact sur la sécurité ou l’ordre public peut être considérable.

Par ailleurs, les différences substantielles entre les régimes nationaux compliquent considérablement la mise en œuvre d’un filtrage des investissements étrangers cohérent. Délais, champs d’application, critères d’évaluation : ces disparités nuisent à l’efficacité du mécanisme de coopération et entretiennent une forme d’insécurité juridique pour les investisseurs.

Un mécanisme de coopération encore trop limité

Le mécanisme de coopération entre États membres et la Commission constitue l’épine dorsale du filtrage des investissements étrangers à l’échelle européenne. Toutefois, plusieurs limites en réduisent aujourd’hui la portée.

D’une part, les délais impartis pour échanger sur les transactions critiques sont jugés trop courts. Dans certains cas, les autorités compétentes n’ont pas le temps matériel de mener une évaluation approfondie des risques, ce qui nuit à l’efficacité globale du filtrage des investissements étrangers.

D’autre part, les informations partagées entre États membres sont souvent insuffisantes. L’évaluation souligne que les dossiers transmis ne permettent pas toujours de juger pleinement du caractère sensible d’une opération. Ce déficit d’information restreint la capacité collective à protéger efficacement les intérêts stratégiques européens.

Enfin, la Commission et les États membres ne disposent pas toujours des informations relatives aux résultats finaux des procédures nationales, notamment en ce qui concerne la prise en compte – ou non – de leurs éventuelles préoccupations. Ce manque de transparence nuit à la crédibilité du filtrage des investissements étrangers comme instrument collectif.

Une réforme indispensable pour un système plus homogène et réactif

Face à ces constats, la Commission propose une série de révisions destinées à renforcer l’architecture du filtrage des investissements étrangers dans l’Union européenne.

  • Premier axe : l’obligation, pour tous les États membres, d’adopter un mécanisme national de filtrage des investissements étrangers. Cette harmonisation minimale vise à combler les brèches dans la chaîne de protection et à garantir un niveau de vigilance équivalent sur tout le territoire de l’Union.
  • Deuxième axe : l’élargissement du champ d’application du règlement, afin d’inclure les investissements intra-UE effectués par des entités contrôlées par des capitaux étrangers. Cette mesure répond à une réalité de plus en plus fréquente : le recours à des filiales européennes pour pénétrer des marchés sensibles en contournant les dispositifs de filtrage des investissements étrangers.
  • Troisième axe : l’harmonisation des critères et des procédures de notification des transactions. L’objectif est de faciliter la mise en œuvre du filtrage des investissements étrangers tout en réduisant la charge administrative pour les entreprises. Cette harmonisation permettrait également d’éviter des interprétations divergentes entre États membres.
  • Quatrième axe : l’allongement des délais pour l’analyse des transactions critiques. En accordant plus de temps à la Commission et aux États membres, l’UE se doterait d’un filtrage des investissements étrangers plus rigoureux et crédible.
  • Cinquième axe : le renforcement du pouvoir d’action des États membres. Ceux-ci pourraient officiellement tenir compte des préoccupations exprimées par leurs partenaires européens. Cette évolution marquerait une avancée majeure vers une vision réellement intégrée du filtrage des investissements étrangers.

Enfin, la Commission souhaite accroître la transparence sur les résultats des procédures nationales, en exigeant la transmission systématique des décisions finales. Cette mesure permettrait de mieux évaluer l’impact concret du filtrage des investissements étrangers à l’échelle de l’Union.

Un enjeu de sécurité mais aussi de cohésion du marché intérieur

Au-delà de la seule dimension sécuritaire, le filtrage des investissements étrangers est désormais perçu comme un levier de cohésion économique et réglementaire. En réduisant les écarts entre régimes nationaux, la réforme à venir entend aussi créer un cadre plus lisible pour les investisseurs. Un système prévisible et homogène renforce la sécurité juridique, tout en protégeant les intérêts stratégiques communs.

La légitimité du filtrage des investissements étrangers repose sur une double exigence : efficacité et proportionnalité. Il ne s’agit pas de fermer l’économie européenne, mais de garantir que les investissements étrangers ne deviennent pas des chevaux de Troie menaçant la souveraineté technologique, l’approvisionnement critique ou les infrastructures essentielles.

Une réponse adaptée aux menaces du XXIe siècle

La montée en puissance de logiques de puissance fondées sur le contrôle d’actifs stratégiques – notamment dans les domaines des télécommunications, de l’intelligence artificielle ou de l’énergie – rend le filtrage des investissements étrangers d’autant plus crucial. Ce dernier s’inscrit dans une approche globale de sécurité économique, à laquelle l’Union européenne consacre désormais une attention renforcée.

La pandémie de COVID-19 a rappelé l’importance de préserver l’autonomie stratégique dans des secteurs clés tels que la santé, les biotechnologies ou les chaînes d’approvisionnement critiques. De même, l’agression de l’Ukraine par la Russie a mis en lumière les risques associés aux investissements provenant de pays non alignés sur les valeurs fondamentales de l’Union. Dans ce contexte, le filtrage des investissements étrangers est un outil indispensable pour préserver l’intégrité du marché intérieur tout en assurant la résilience géopolitique de l’Europe.

Consolider le socle de souveraineté économique européenne

En quatre ans d’application, le Règlement (UE) 2019/452 a démontré toute sa pertinence. Il a permis aux États membres et à la Commission d’identifier et de traiter un certain nombre de transactions sensibles, tout en évitant de nuire à l’attractivité globale de l’Union. Toutefois, les lacunes mises en évidence par l’évaluation de la Commission appellent une réforme ambitieuse.

La révision annoncée doit permettre à l’Union de franchir une nouvelle étape : celle de la maturité stratégique. Le filtrage des investissements étrangers ne doit plus être considéré comme une exception, mais comme un élément constitutif de la gouvernance économique européenne. Il est désormais temps de doter l’UE d’un cadre pleinement opérationnel, harmonisé et efficace, à la hauteur des défis du XXIe siècle.

 

 

Filtrage des investissements étrangers - Révision
Filtrage des investissements étrangers – Révision

 


 

Pour en savoir plus

Livre « IEF Le contrôle des investissements étrangers en France », ed Relians, 2024

Illustration – Filtrage des investissements étrangers | Relians

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Relians, spécialiste du contrôle des investissements étrangers