
Le décret Montebourg et le contrôle des investissements étrangers en France (IEF)
Le décret Montebourg, officiellement dénommé décret n°2014-479 du 14 mai 2014 relatif aux investissements étrangers en France, constitue une étape déterminante dans l’évolution du régime juridique encadrant les investissements étrangers en France (IEF). Pris dans un contexte de forte tension industrielle et politique, ce décret a marqué le retour assumé d’une approche de patriotisme économique, en réponse à une opération de rachat perçue comme menaçant les intérêts stratégiques français.
Une réponse directe à une opération emblématique : le dossier Alstom
Au printemps 2014, le projet de rachat de la branche énergie du groupe français Alstom par le conglomérat américain General Electric a suscité une vive réaction du gouvernement français. Le dossier Alstom est apparu comme un cas d’école illustrant la nécessité pour l’État de se doter d’outils juridiques lui permettant d’intervenir efficacement face à des investissements étrangers susceptibles de porter atteinte à la souveraineté économique nationale.
C’est dans ce contexte que fut adopté le décret Montebourg, du nom du ministre de l’Économie en fonction à l’époque, Arnaud Montebourg. Lors d’une intervention à l’Assemblée nationale le 24 juin 2014, le ministre déclarait à ce sujet : « Le décret du 14 mai 2014 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable nous permet d’intervenir pour contrôler les investissements étrangers en France. Il a été utilisé vis-à-vis de General Electric dans le dossier Alstom. »
Ce décret a ainsi eu pour objet immédiat de permettre au gouvernement de bloquer ou conditionner le rachat d’actifs stratégiques, en élargissant le périmètre des activités soumises à autorisation préalable au titre du contrôle des investissements étrangers en France.
L’introduction des « activités essentielles »
L’apport central du décret Montebourg réside dans l’introduction de la notion d’« activités essentielles ». En modifiant le décret n° 2005-1739 du 30 décembre 2005, le décret du 14 mai 2014 a considérablement élargi le champ des activités soumises à autorisation, incluant dorénavant celles qui sont jugées essentielles à la garantie des intérêts de la nation en matière d’ordre public, de sécurité publique ou de défense nationale.
Comme le souligne Pascal Dupeyrat dans Sécurité économique et souverainetés industrielles (PUF, 2020, préface de Bruno Le Maire), le décret Montebourg marque un tournant conceptuel, en instituant une grille de lecture élargie des menaces susceptibles de justifier une intervention de l’État. Ce décret ne définit pas précisément la notion d’« activités essentielles », ce qui offre une marge d’appréciation significative à l’autorité publique. Cette souplesse est toutefois compatible avec les exigences européennes, notamment celles issues de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui conditionne la validité de restrictions à la libre circulation des capitaux à l’existence d’une menace réelle et suffisamment grave portant sur un intérêt fondamental de la société.
Ainsi, le décret Montebourg permet au ministre chargé de l’Économie de s’opposer à des prises de contrôle d’activités jugées sensibles sans pour autant violer les principes de droit communautaire. L’État peut justifier son intervention en invoquant la protection des « intérêts fondamentaux » de la nation, dans le respect des critères européens de proportionnalité et de nécessité.
Une extension significative du champ du contrôle
Le décret Montebourg a élargi la liste des secteurs stratégiques au-delà des domaines traditionnels de la défense ou des technologies à usage dual. Sont désormais concernées les activités liées à l’énergie, à l’eau, aux transports, aux télécommunications, à la santé publique ou encore aux infrastructures numériques. Cette extension du champ d’application du contrôle préalable permet de prendre en compte l’évolution des menaces économiques dans une économie globalisée et fortement numérisée.
Ce faisant, le décret Montebourg a préparé le terrain pour les réformes ultérieures, telles que les décrets n° 2018-1057 du 29 novembre 2018, n° 2019-1590 du 31 décembre 2019 et n° 2020-892 du 22 juillet 2020, qui n’ont fait que renforcer et préciser les dispositifs introduits en 2014. Tous ces textes prolongent la logique amorcée par le décret Montebourg, en élargissant encore les secteurs concernés et en renforçant les exigences de transparence et d’information imposées aux investisseurs étrangers.
Une doctrine fondée sur le pragmatisme et la souveraineté économique
Le décret Montebourg s’inscrit dans une vision équilibrée de l’ouverture économique. Il ne remet pas en cause la liberté des capitaux ni l’attractivité de la France pour les investisseurs internationaux, mais il pose des limites claires dès lors que des intérêts nationaux sont en jeu.
Arnaud Montebourg, dans sa déclaration devant les députés, insistait d’ailleurs sur cette philosophie : « Nous travaillons dans un esprit de coopération avec les investisseurs étrangers ; nous allions ainsi les valeurs du patriotisme économique avec une politique pragmatique visant à mieux nous organiser pour être plus forts dans la mondialisation. »
Cette articulation entre souveraineté économique et ouverture aux capitaux étrangers constitue aujourd’hui le socle de la doctrine française en matière de contrôle des investissements. Elle repose sur un postulat simple : un investissement étranger ne doit pas affaiblir les capacités industrielles, technologiques ou stratégiques de la France.
Un cadre juridique consolidé autour de l’article L.151-3 du Code monétaire et financier
Le décret Montebourg tire son fondement de l’article L.151-3 du Code monétaire et financier, qui habilite le ministre chargé de l’Économie à soumettre à autorisation les investissements étrangers dans certains secteurs. Ce texte confère une compétence discrétionnaire à l’autorité administrative pour apprécier, au cas par cas, l’impact potentiel d’une opération sur la sécurité nationale.
Le décret du 14 mai 2014 précise cette base légale en actualisant la liste des secteurs et en introduisant des notions-clefs comme celle d’« activités essentielles ». Il constitue ainsi une pièce maîtresse du dispositif d’investissement étranger en France, qui est aujourd’hui considéré comme l’un des plus robustes et sophistiqués parmi les États membres de l’Union européenne.
Un précédent stratégique dans la consolidation de la sécurité économique
En somme, le décret Montebourg constitue une réponse stratégique et politique à une situation d’urgence industrielle, mais son impact dépasse largement le cas Alstom. Il a posé les jalons d’un droit de la sécurité économique en construction, fondé sur la capacité de l’État à intervenir de manière ciblée et proportionnée.
En permettant d’intégrer dans le périmètre du contrôle des investissements étrangers un ensemble d’activités jugées vitales pour la nation, le décret Montebourg a changé l’échelle du rapport entre souveraineté et mondialisation. Il a également contribué à faire évoluer la perception de la légitimité de l’intervention publique dans les opérations de marché.
Dix ans après son adoption, le décret Montebourg conserve toute sa pertinence. Il est aujourd’hui fréquemment cité comme le texte fondateur du renouveau du contrôle des investissements étrangers en France. Il a également inspiré d’autres réformes au niveau européen, telles que le règlement européen 2019/452 sur le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union.
Le décret Montebourg du 14 mai 2014 constitue une avancée déterminante dans l’arsenal juridique français de contrôle des investissements étrangers. En introduisant la notion d’activités essentielles et en renforçant les prérogatives de l’État, il a permis de réaffirmer la souveraineté économique de la France dans un contexte de mondialisation incertaine.
Pour en savoir plus
Livre « IEF Le contrôle des investissements étrangers en France », ed Relians, 2024

Livre « Sécurité économique et souverainetés industrielles » , Ed. PUFs, 2022

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