Décret Villepin – patriotisme économique – contrôle des investissements étrangers en France – IEF

Contrôle des investissements étrangers en France (IEF)
Décret Villepin - patriotisme économique
Décret Villepin – patriotisme économique

 


 

Le décret Villepin et le patriotisme économique : genèse, portée et malentendus

La question de la souveraineté économique n’a jamais quitté le cœur des préoccupations étatiques, particulièrement dans les pays industrialisés. En France, ce souci a pris une tournure nouvelle à partir des années 2000 avec l’essor d’un concept structurant : le patriotisme économique. Ce terme, au croisement des impératifs sociaux, industriels et stratégiques, s’est vu concrétisé par des instruments réglementaires emblématiques, au premier rang desquels figure le décret Villepin.

Un contexte politique propice à une régulation économique renforcée

 

C’est au début des années 1990 que le terme de patriotisme économique apparaît, d’abord dans les cercles intellectuels et politiques comme une réponse aux effets parfois brutaux de la mondialisation sur les tissus économiques nationaux. En 2003, le député Bernard Carayon donne à ce concept une épaisseur stratégique dans son rapport intitulé « Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale », où il affirme que « l’Intelligence économique est un patriotisme économique ».

Cette approche, qui inscrit la protection des intérêts stratégiques dans une vision à la fois sociale et industrielle, trouve un écho particulier dans l’action du gouvernement de Dominique de Villepin. En 2005, confronté à la montée des offres publiques d’achat hostiles (OPA), le Premier ministre défend avec force une ligne volontariste : celle de la consolidation du capital des entreprises françaises et de la préservation de leur souveraineté actionnariale. C’est dans ce contexte que le décret Villepin, publié le 30 décembre 2005, vient apporter une réponse juridique à cette problématique.

Le décret Villepin : un outil juridique au service de la souveraineté

 

Le décret n° 2005-1739 du 30 décembre 2005 réglemente les relations financières avec l’étranger et constitue l’application directe de l’article L.151-3 du Code monétaire et financier. Ce texte, connu sous le nom de décret Villepin, marque un tournant dans la régulation des investissements étrangers en France. En encadrant la prise de participation dans certaines entreprises jugées sensibles, il permet à l’État de bloquer, autoriser ou conditionner des investissements étrangers dès lors qu’ils touchent à des secteurs stratégiques.

Contrairement à une lecture simpliste qui le qualifia de « décret anti-OPA », le décret Villepin ne vise pas à interdire toute opération de fusion-acquisition, mais à doter l’exécutif d’un pouvoir d’appréciation fondé sur la protection de la sécurité publique, de l’ordre public et des intérêts nationaux fondamentaux.

Ce décret s’inscrit ainsi dans une logique de patriotisme économique, telle que définie dans le rapport Carayon : protection des intérêts nationaux, mutualisation des efforts publics et privés, et culture de conquête économique. Loin d’un protectionnisme passéiste, il s’agit d’ériger une forme d’État stratège moderne, capable d’agir en réseau et en synergie avec les acteurs privés.

Une réponse politique aux préoccupations économiques et sociales

 

Lors de sa conférence de presse du 27 juillet 2005, Dominique de Villepin assume pleinement cette orientation : « Nous ne défendrons bien les intérêts des salariés que si nous protégeons les intérêts de nos entreprises », déclare-t-il, appelant à un « véritable patriotisme économique ». Il s’agissait alors de répondre à des inquiétudes croissantes sur la perte d’actifs industriels au profit d’acteurs étrangers, souvent mus par des logiques de court terme.

Le décret Villepin est donc l’un des instruments de cette politique. Il traduit une volonté claire : replacer l’État au centre de la stratégie économique, non comme producteur, mais comme régulateur attentif et défenseur des secteurs stratégiques. Le patriotisme économique, dans cette optique, vise à sécuriser les compétences clés, à préserver l’emploi qualifié et à assurer la continuité des approvisionnements stratégiques.

Il est essentiel de souligner que cette politique inclut aussi une dimension sociale. La protection des secteurs dits stratégiques n’est pas uniquement technologique : elle comprend la dimension humaine, notamment les emplois non substituables. C’est là l’un des apports majeurs du patriotisme économique tel que conçu par ses promoteurs.

Le télescopage avec l’affaire Danone et ses conséquences

 

Malgré ses ambitions, le décret Villepin va souffrir d’un lancement malheureux. En juillet 2005, le gouvernement est interrogé sur l’éventuelle prise de contrôle de Danone par un groupe étranger. La concomitance de cette affaire très médiatisée et de l’annonce de la parution imminente du décret a suscité une interprétation erronée : le texte serait un instrument de blocage pur et simple des OPA.

Or, comme l’a rappelé Dominique de Villepin, le décret Villepin était en préparation bien avant cette polémique, dans le cadre d’une nécessaire mise en conformité avec le droit communautaire. Il ne s’agissait en aucun cas d’un geste protectionniste ciblant une entreprise en particulier. Pourtant, l’expression même de patriotisme économique va se retrouver amalgamée, à tort, au protectionnisme et au repli sur soi.

Cette confusion s’avérera durable. Le patriotisme économique souffrira longtemps d’un déficit d’image, perçu comme contradictoire avec les principes d’ouverture économique défendus au sein de l’Union européenne. Pourtant, les auteurs du rapport de 2003 rappellent qu’il ne s’agit nullement de bloquer la concurrence, mais de corriger les asymétries de traitement, en donnant aux États les moyens de défendre leurs actifs stratégiques comme le font déjà d’autres grandes puissances.

Une évolution conceptuelle mais une continuité stratégique

 

Après 2007, le gouvernement Fillon va délaisser l’expression de patriotisme économique au profit d’un retour au concept d’intelligence économique. Cependant, les logiques d’action restent similaires : protection des secteurs sensibles, développement d’outils d’analyse stratégique, et mise en œuvre de politiques industrielles sélectives.

La crise financière de 2008 viendra même renforcer la pertinence du décret Villepin, dans un contexte où la volatilité des marchés et l’instabilité du capital posent des questions aiguës sur la soutenabilité du tissu économique national. À travers ce décret, l’État conserve un levier d’action utile pour filtrer les prises de participation étrangères jugées sensibles.

Aujourd’hui encore, l’esprit du décret Villepin irrigue les dispositifs modernes de contrôle des investissements étrangers, notamment les réformes successives de l’article L.151-3 du Code monétaire et financier. Il en va de même pour le patriotisme économique, désormais intégré dans une vision plus large de la sécurité économique et de la souveraineté industrielle.

Entre modernité stratégique et vigilance démocratique

 

Le décret Villepin reste, près de vingt ans après sa publication, une pièce maîtresse de la régulation économique française. Sa genèse, intrinsèquement liée à la notion de patriotisme économique, témoigne d’une volonté politique affirmée de préserver les leviers de puissance dans un monde globalisé et instable.

S’il est vrai que le patriotisme économique a parfois été caricaturé ou confondu avec le protectionnisme, son essence réside ailleurs : dans la volonté d’aligner les outils publics et privés au service de l’intérêt général, de la compétitivité nationale et de la résilience stratégique.

À ce titre, le décret Villepin symbolise une forme moderne de souveraineté économique, lucide et pragmatique, capable d’anticiper les menaces sans renoncer à l’ouverture. Il rappelle qu’une économie forte est aussi une économie protégée, lorsque l’intérêt collectif l’exige.

 

 


 

Pour en savoir plus

Livre « IEF Le contrôle des investissements étrangers en France », ed Relians, 2024

Illustration – Décret Villepin | Relians

Notre expertise

Relians, cabinet de conseil stratégique et institutionnel, accompagne depuis plus de 20 ans les entreprises confrontées à ces enjeux. En s’appuyant sur une lecture experte des textes, des pratiques administratives et des lignes directrices applicables, nous aidons nos clients à structurer leurs opérations en toute sécurité, dans le respect des exigences réglementaires et dans une logique de dialogue constructif avec les autorités françaises.

Relians, spécialiste du contrôle des investissements étrangers