Contrôle des investissements étrangers aux Etats-Unis (CFIUS) – entretien France 24

Contrôle des investissements étrangers aux États Unis : un arsenal de contrôle efficace
Contrôle des investissements étrangers aux États Unis : un arsenal de contrôle efficace

Contrôle des investissements étrangers aux Etats-Unis (CFIUS) –

L’Entretien de l’intelligence économique

Émission du 10 janvier 2023 – entretien réalisé par Ali Laïdi

Il s’agit de l’arsenal le plus abouti face aux investissements étrangers non désirés par le gouvernement américain : le Comité sur le contrôle des investissements étrangers aux États-Unis (CFIUS), une arme dissuasive. Faudrait-il s’en inspirer, ou bien au contraire s’en méfier ? Pour répondre, Ali Laïdi reçoit Pascal Dupeyrat, consultant international spécialisé dans les secteurs stratégiques et auteur du livre « CFIUS, le contrôle des investissements étrangers aux États-Unis ».

 


Investissements étrangers aux États-Unis : un arsenal de contrôle efficace

nvestissements étrangers aux États-Unis : un arsenal de contrôle efficace • FRANCE 24

Contrôle des Investissements étrangers aux États-Unis : un arsenal de contrôle efficace • FRANCE 24


Transcription

Voici la transcription structurée de l’émission L’entretien de l’intelligence économique de France 24, avec les interventions attribuées à Ali Laïdi (journaliste) et Pascal Dupeyrat (invité) :


Ali Laïdi :
Bonjour et bienvenue dans L’entretien de l’intelligence économique, l’émission consacrée aux coulisses de la mondialisation.
C’est l’arme la plus efficace contre les investissements étrangers non désirés : je parle du CFIUS. Le CFIUS, c’est le Comité sur les investissements étrangers aux États-Unis. Une arme redoutable, avant tout très dissuasive.

À l’heure où le monde se fracture, faut-il s’en inspirer ou, au contraire, s’en méfier ?

Pour en parler, je reçois Pascal Dupeyrat, consultant international spécialisé dans les secteurs stratégiques et auteur d’un livre récent publié aux éditions Relians, intitulé CFIUS – Le contrôle des investissements étrangers aux États-Unis.

Bonjour Pascal Dupeyrat.

Pascal Dupeyrat :
Bonjour.

Ali Laïdi :
Alors, dans vos mots : c’est quoi, le CFIUS ?

Pascal Dupeyrat :
C’est un organisme chargé de protéger la sécurité nationale américaine en cas d’investissement étranger. Il existe depuis longtemps, depuis 1975, mais avec la mondialisation, il a progressivement pris de plus en plus de pouvoir.

Ali Laïdi :
Pourquoi avoir décidé de lui consacrer un livre aussi complet ? Il contient 25 chapitres, c’est un vrai travail de fond.

Pascal Dupeyrat :
Parce que, pour faire simple, entre 1980 et 2020, la mondialisation a été régie par le droit de la concurrence. Mais à partir de 2020, on assiste à un basculement : plus aucune opération de fusion-acquisition ne pourra se faire sans contrôle de sécurité nationale.
Si les acteurs ne comprennent pas que ce pilier va désormais compter autant que le droit de la concurrence, ils passeront à côté de l’essentiel.

Ali Laïdi :
Les Américains vont donc être plus sévères ?

Pascal Dupeyrat :
Très clairement. Ils ont des objectifs fixés pour 2025 et 2049.
En 2025, c’est un plan vis-à-vis de la Chine, notamment dans les semi-conducteurs.
Et en 2049, c’est une échéance stratégique : qui, de la Chine ou des États-Unis, sera la première puissance mondiale ? Cette compétition se prépare dès maintenant, avec des outils comme le CFIUS.

Ali Laïdi :
On renforce donc le CFIUS, on lui donne d’autres missions ?

Pascal Dupeyrat :
Exactement. Depuis 2018, il y a un renforcement continu, quel que soit le parti au pouvoir. Il y a professionnalisation du contrôle, et un début d’extraterritorialité : la sécurité nationale américaine ne se joue plus seulement sur le sol américain, mais aussi dans les pays alliés.

Ali Laïdi :
Comment fonctionne le CFIUS ? Qui le dirige ?

Pascal Dupeyrat :
Il est placé auprès du département du Trésor, donc du ministre de l’Économie, mais le véritable décideur final, c’est le président des États-Unis. Il y a tout un processus d’instruction, et en cas de litige majeur, c’est lui qui tranche.

Ali Laïdi :
Si je suis investisseur, dois-je frapper à la porte du CFIUS d’abord, ou tenter de passer sous le radar ?

Pascal Dupeyrat :
Surtout pas de stratégie “maline” ! Dès qu’un doute existe sur un risque potentiel pour la sécurité nationale, il faut consulter le CFIUS. Plus vous essayez de contourner, plus vous risquez gros : pas vu, pas pris, pris, pendu haut et court.

Ali Laïdi :
Tous les secteurs économiques sont concernés ?

Pascal Dupeyrat :
Oui. Il n’y a pas de définition fixe de la sécurité nationale. Cela inclut les infrastructures critiques, les ressources stratégiques, les technologies sensibles… même les données (data) sont aujourd’hui considérées comme un enjeu de sécurité.

Ali Laïdi :
En tant qu’Européen, suis-je traité différemment d’un investisseur chinois ?

Pascal Dupeyrat :
Pas du tout. En fait, 95 % des transactions examinées concernent des partenaires ou alliés des États-Unis. Le contrôle porte donc en majorité sur des investissements européens.

Ali Laïdi :
Même l’agriculture peut être concernée ?

Pascal Dupeyrat :
Elle l’a déjà été. Un exemple : une tentative d’acquisition dans la filière porcine a été rattrapée par le CFIUS. Rien n’est exclu a priori. Mais c’est aussi au CFIUS de démontrer l’existence d’un risque réel pour la sécurité nationale.

Ali Laïdi :
Donc, un investisseur européen a tout intérêt à consulter CFIUS ?

Pascal Dupeyrat :
Absolument. Il faut analyser la nature de l’opération, évaluer les risques, et se rapprocher du comité s’il y a un doute. Le but du CFIUS n’est pas de bloquer les investissements, mais de prévenir les atteintes à la sécurité nationale.

Ali Laïdi :
Qui sont les interlocuteurs du CFIUS ? On parle de services de renseignement, non ?

Pascal Dupeyrat :
C’est un processus inter-agences. Le point d’entrée, c’est le ministère de l’Économie. Mais autour de la table, vous avez le Département de la Défense, la Sécurité intérieure, la Justice, les services de renseignement… c’est le cœur de la machine de sécurité américaine.

Ali Laïdi :
C’est une arme dissuasive : certains investisseurs n’osent même plus tenter une opération…

Pascal Dupeyrat :
Exactement. C’est un filet. Tout est fait pour détecter les opérations risquées. Et une fois un risque identifié, on peut trouver des solutions avec le CFIUS.
Mais ces solutions peuvent imposer des concessions : gouvernance américaine, rétention de brevets, etc.
Si vous êtes un investisseur stratégique, vous l’acceptez. Si vous avez des arrière-pensées, ça ne passera pas.

Ali Laïdi :
Combien de dossiers traite le CFIUS chaque année ?

Pascal Dupeyrat :
Il y a eu environ 400 notifications, plus de 2500 enquêtes. Et une hausse du taux de refus.
Sur les six vetos présidentiels prononcés, quatre concernaient des entreprises chinoises, trois dans les semi-conducteurs. Cela reflète bien les priorités stratégiques.

Ali Laïdi :
Dernière question : l’extraterritorialité. Le CFIUS veut-il que l’Europe s’en inspire ?

Pascal Dupeyrat :
Oui. Depuis la loi FIRRMA en 2018, le CFIUS peut exercer ce que j’appelle le « coup de fil à un ami » : il peut contacter un pays allié pour qu’il bloque une opération jugée contraire à la sécurité nationale américaine, même sans lien direct avec les États-Unis.
On est au début d’un processus similaire à celui vu avec la lutte anticorruption. D’abord, une législation. Ensuite, des listes de bons et de mauvais élèves. Puis des injonctions.
Le problème n’est pas qu’ils le fassent, mais qu’en Europe, on n’exige pas la réciprocité.

Ali Laïdi :
Merci beaucoup, Pascal Dupeyrat, pour vos réponses.
L’entretien de l’intelligence économique est terminé. Vous pouvez retrouver cette émission sur France24.com, sur nos réseaux sociaux et sur nos podcasts. Au revoir.


 

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Relians, expert du contrôle des investissements étrangers